Celui qui croit que la «révolution tunisienne» s'est déclenchée à cause du malaise politique se trompe. Le problème était purement et simplement économique et, quatre ans après la «révolution», continue à l'être.
Sans bafouer le militantisme de certains, ce ne sont pas les mouvements politiques de gauche qui ont destitué Ben Ali, encore moins les islamistes, qui ont pourtant essayé de nous faire avaler ça, mais plutôt le malaise social qui a sévi et qui était la conséquence d'une mauvaise gouvernance et de l'essoufflement du modèle économique.
Le modèle des systèmes parallèles
Est-ce qu'il y a eu réellement un modèle économique tunisien? Après l'expérience désastreuse du corporatisme de Ben Salah, nous avons eu droit avec feu Hedi Nouira à trois modèles économiques à la fois, sous l'emblème de «la cohabitation des trois secteurs» et pour la précision, c'était de la pure«cohabitation» et non pas de la «complémentarité».
Depuis ces temps-là, nous avons eu deux régimes fiscaux différents, un système fiscal dit de «droit commun» et un autre système dédié aux «activités exportatrices». Ces deux systèmes sont assez séparés qu'il est plus facile d'importer une marchandise de l'étranger que de l'acheter de la société totalement exportatrice du coin.
Par application du concept de «développement régional» nous avons réussi à scinder le territoire en deux bandes parallèle, un littoral prospère malgré le manque d'avantages fiscaux et un paradis fiscal étalé sur toute la bande antérieur mais avec peu d'investissements.
Il a fallu vingt ans pour évaluer l'expérience, vingt ans pour réaliser qu'une usine de textile à Béja ou une usine de câblage à Siliana n'est pas pérenne car coûteuse et inappropriée, en absence d'un découpage en «pôles économiques» adaptés aux réalités des régions.
Depuis toujours, l'ingéniosité tunisienne a fait que nous vivons dans des systèmes parallèles: public-privé, libre-étatique, commun-avantageux, réel-forfaitaire, avec une insistance insensée à maintenir le clivage entre chacun des deux. Et quand on veut passer d'un système à un autre, on garde quand même l'ancien, par attachement aux souvenirs, par respect à nos ancêtres ou à cause d'un esprit d'antiquaires.
Cherchons à savoir pourquoi, en ayant une pensée aux biens habous (biens de mainmorte) non encore liquidés, à la cohabitation entre la STAM publique et les autres sociétés privées de manutention dans les ports tunisiens, aux banques publiques BNA, STB, BH et TFB qui essayaient, tant bien que mal, de concurrencer les banques privées tout en maintenant une gestion «à l'ancienne».
L'Etat au service de l'économie parallèle
Dans ce contexte, l'Etat veut engager la guerre contre l'économie parallèle. A vrai dire il est temps de le faire, quand cela représente 53% de l'économie, il ne s'agit plus d'une gangrène mais d'un cancer. L'Etat oublie toutefois qu'il en est lui même une consécration et une cause.
L'Etat est une consécration de l'économie parallèle, par l'instauration «légale» de régimes et systèmes parallèles, mais aussi par l'adoption d'une approche de «l'exceptionnel étatique à la loi».
Adepte de l'adage «Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais», l'Etat tunisien réprimande le travail au noir et les salaires au-dessous du Smig, mais fait travailler des milliers de gens sous le système«hadhayer» (chantiers de travail), sans couverture sociale et à 150 dinars par mois.
L'Etat tunisien est aussi une des causes de l'économie parallèle par son laxisme à appliquer la loi contre les fraudeur, les contrebandiers, les spéculateurs, les opportunistes. C'est normal quand ces derniers font partie du système de gouvernance nationale, financent les pseudo politiques tunisiens et créent des systèmes administratifs, douaniers et fiscaux parallèles.
Pendant des années, les caisses de l'Etat ont trop souffert d'incitations inutiles aux investissements (des recettes fiscales s'évaporent chaque année au titre des incitations fiscales) et de primes de mise à niveau devenus des bonus aux promoteurs.
Dans cet état d'esprit, tout avantage est détourné de sa vocation initiale. Le système FCR, initialement destiné aux travailleurs à l'étranger qui font leur retour définitif, s'est transformé en un système d'évasion fiscale coûtant à l'Etat annuellement pas moins que 400 millions de dinars, soit 3 fois ce qu'a rapporté la contribution conjoncturelle de 2014.
Le système APC (activité privée complémentaire) destiné initialement à maintenir les médecins chevronnés dans le secteur public, s'est transformé en un système d'achalandage.
Les cours particuliers, destinés initialement à renforcer le système éducatif et à donner un coup de pouce pour les élèves les moins intellectuellement lotis, est devenu la base d'un système éducatif esquinté. C'est ainsi que le système d'enseignement privé, alors qu'il constituait une deuxième chance pour les ratés, est devenu le système éducatif de référence. Le système d'enseignement public est devenu le système parallèle dans un pays prônant la gratuité de ce service.
Les systèmes parallèles ne finissent pas dans mon pays, dans tout domaine et secteur, on est certain de trouver au moins 2 systèmes: normal-privilégié, VIP-commun des mortels, légal-arrosé, etc.
Serait-il donc le moment de réviser notre système de gouvernance? Mais alors là, un seul système basé sur les principes d'équité, de stabilité et de clarté.
Rappelons-le, la «révolution tunisienne» s'est déclenchée suite à un incident de commerce parallèle (auto-immolation par le feu du marchand ambulant Mohamed Bouazizi) et à cause de ce «parallèle», c'est la révolution tunisienne qui risque de devenir un simple «incident».
Anis WAHABI (Kapitalis, Avril 2015)
article très intéressant Anis tu peux encore le développer dans les volets : 1)absence d'un découpage en «pôles économiques» adaptés aux réalités des régions;manque ou absence de gouvernance, transparence, équité,... bref les principes de la RSE.
RépondreSupprimerBonne continuation Maître