Après cinq ans, quatre présidents, deux élections, plusieurs attentats et plusieurs gouvernements, le commun des Tunisiens vit avec une question existentielle omniprésente : «Faut-il garder l’espoir dans son pays?».
Le commun des Tunisiens veut s’assurer de son futur et de celui de ses enfants, une question dont les pseudo-politiques, qui font le destin de la Tunisie, se moquent à force de se concentrer sur le choix du parti politique auquel il faut adhérer, après la faillite imminente des pseudo-partis occupent temporairement le devant de la scène.
Le Tunisien veut savoir s’il peut compter sur l’avenir. Malheureusement, Taleb Ammar n’est plus et les apprentis sorciers d’aujourd’hui sont à l’image de nos politiques, trop de paroles en l’air.
Pour prédire le futur, on serait obligé d’adopter des méthodes plus scientifiques. Cela n’est pas cohérent avec les manières de Yassine Brahim, mais on n’a pas malheureusement le choix.
Un destin low-cost
Pour faire simple, nous adopterons la règle annoncée pas Einstein selon laquelle il serait idiot de refaire les mêmes actions en attendant des résultats différents. Notons ici qu’il s’agit d’une question d’idiotie, qui est le niveau zéro d’une échelle d’intelligence.
Dans les années 80, le pays a choisi de se ranger dans les rangs de la FMI, 25 ans après le Programme d’ajustement structurel (PAS), il y a eu la révolution.
Depuis 1972, la Tunisie a arpenté le chemin du low-cost. Cela a touché tous les domaines, de l’industrie au tourisme. Toute notre vie a été entachée de ce concept de «moins cher que gratuit»: l’enseignement, l’urbanisme, la culture… tout est au low-cost.
Dans les années 70, nous partagions avec la Corée du Sud le même niveau de PIB et le même système low-cost. Ils avaient une vision, nous avions des Destouriens, des nationalistes, des communistes et des islamistes.
Et puis il y a eu les réformes, ou plutôt les annonces de réformes: de la réforme du système fiscal (avec l’avènement de la TVA et le Code de l’IRPP et de l’IS à la fin des années 80), à la réforme du système bancaire (au début des années 90). On a eu aussi un long programme de mise à niveau des secteurs de l’industrie et des services, un autre programme pour le secteur de tourisme, et la liste est longue. Vingt ans ans après, les 2 plus grandes banques publiques (STB et BNA) sont chroniquement déficitaires et aucune banque tunisienne ne figure dans le top 100 des banques africaines. Le secteur touristique est mono produit, et le secteur industriel n’arrive pas à dépasser le niveau d’assembleur.
Quand un malade suit tout un traitement sans guérison, ça ne servira à rien de reprendre le même médicament. Ou le médicament n’est pas convenable, il faut donc changer de protocole (stratégie), ou le diagnostic est faux, il faut à ce moment changer de médecin.
Voilà donc que notre administration «médecin malgré elle» nous engage dans de nouvelles négociations pour l’Accord de libre échange complet et approfondi (Aleca) avec l’Union européenne (UE), pour la libéralisation de l’agriculture et des services, alors qu’aucune évaluation du l’accord de libre échange entamé en 1995 n’a été effectuée.
Il y a certainement des mobiles à cela : voyages, perdiem et shopping. Les architectes, médecins et autres professions libérales peuvent toujours changer de métiers.
Intelligence individuelle et idiotie collective
En fait, le concept d’idiotie n’est pas fortuitement évoqué par Einstein, parce qu’il s’agit belle et bien d’une histoire d’intelligence, comme celle qui a armé Bourguiba pour tenir au pouvoir 18 ans après sa DLC caractérisée par une dépression aiguë. C’est la même intelligence qui a permis à Ben Ali d’asservir le peuple, y compris les plus intelligents et les instruits pendant 23 ans. C’est aussi la même intelligence qui a permis et permet toujours à l’oligarchie de se tenir au pouvoir quel que soit le dieu vénéré dans le pays.
L’intelligence individuelle ne sert que son maître, mais le futur d’un pays dépend d’une autre forme d’intelligence: la collective.
Un peuple évolue quand il est doté d’une intelligence collective qui lui permet de se forger une vision, de travailler pour et de distinguer entre les vrais et les faux problèmes.
Voyons donc le degré d’intelligence du «grand peuple tunisien». En plein crise économique, d’augmentation tendancielle de chômage et d’endettement, le peuple tunisien s’est offert le luxe de discuter des questions d’homosexualité et de partage équitable de l’héritage entre l’homme et la femme. C’est pour dire combien ce «grand peuple tunisien» tournait en rond depuis qu’il s’est coincé dans une crise identitaire aiguë.
Émotionnel comme il est, ce peuple est heurté pour un rien, pour n’importe quel propos déplacé de n’importe quel fou qui se montre à la télé. Alors dans ce chapitre, il va falloir élucider de près l’intelligence émotionnelle collective d’un peuple qui a raté sa révolution à cause de son excès de sensibilité pour les futilités, et pas pour les questions existentielles essentielles.
Du côté de la moitié pleine du verre, il faut reconnaître que le peuple tunisien, grâce à son intelligence collective, a su surmonter des moments difficiles. Il gère tant bien que mal une transition politique épineuse et, faute d’assurer la croissance, il arrive chaque année à lever des fonds sur le marché extérieur. C’est un peuple débrouillard capable de décrocher 2,7 milliard de dollars du Fonds monétaire international (FMI) avec 2 amendements d’articles de loi.
Sans prétendre donc avoir la boule magique, le futur de la Tunisie dépend du commun des Tunisien. L’analyse du niveau d’intelligence collective du peuple tunisien peut nous révéler beaucoup: ce peuple survivra, s’adaptera, mais n’arrivera pas à l’excellence à force d’adopter les systèmes D.
Anis WAHABI